De fil en aiguille ... On y enfile des perles, on s'y pique parfois !
Oui, cher Benoît, Chevènement ...
— J'étais en poste à l'Institut français de Brême, en 2002, quand Jean-Marie Le Pen est passé au second tour... Il avait fallu gérer cette espèce d'OVNI diplomatique et essayer de relativiser : non, toute la France n'allait pas hurler avec les loups bruns. A l'époque — et aujourd'hui encore — Chevènement avait ses fans et j'admire encore la « mécanique intellectuelle », républicaine, juste et droite, sans jamais être ni d'extrême droite ni d'extrême gauche. Lui aussi, finalement, un OVNI, qu'on avait vu venir depuis les années 70, mais que l'avènement des années 2000 destinait déjà aux poubelles d'une Histoire impossible, dépassée, rejetée par l'électorat lui-même. Ceci jusqu'aux retraits anticipés des présidentielles de 2007 puis de 2012.
Il se trouve qu'il avait été reproché au Che de Belfort de s'être présenté en dissidence de la gauche, en opposition idéologique à Jospin et que, probablement, les 5,33% de voix récoltées au 1er tour en 2002 (pour le parti Pôle républicain) ont cruellement manqué à Jospin pour accéder au second tour... D'où les aigreurs de nombreux électeurs de gauche à son encontre et le sentiment qui s'est affirmé ces dernières années chez certains que Chevènement ne manquait pas à la France ou que, pour d'autres au contraire, la France était passée « à côté » de cette personnalité paradoxale. Un homme d'expérience en tout cas qui fait très bien le lien entre ancienne et nouvelle politique, entre Ve République des origines et pratiques constitutionnelles les plus récentes, entre un De Gaulle et un Macron. Un gâchis à la française qui n'a rien d'unique cependant.
Et donc oui, entendu! Face à lui, Eric Zemmour tient davantage du fox terrier! La « jappe » est pénible, ininterrompue, lancinante, contemporaine. On sait qu'on ne passera pas à côté, c'est l'air du temps qui braille, qui voit passer l'étranger dans le jardin de la République et vitupère. Je suis pourtant de ceux qu'une belle leçon d'Histoire fascine et captive. Je suis devant le professeur et l'analyste comme un gamin grossier qui comprend que ses pieds sont des racines et que ce n'est pas le doigt du maître qu'on regarde, mais ce qu'il montre. J'ai aimé la perspective historique du Destin français, je crois moins à « la fin de l'Occident », disons moins menacé d'effacement que soumis à des évolutions inéluctables sur bien des plans (culturels, religieux, sociaux...). J'apprécie moins encore les invectives récentes qui font passer l'ancien journaliste du Figaro du « lanceur d'alerte » au lanceur de boules puantes. C'est une évolution attendue, qui n'est pas unique dans le paysage médiatico-politique français — à l'instar d'Edouard Drumont, 1844-1917 —, mais qui empêchera probablement Zemmour de rivaliser dans l'Histoire, malgré l'ardeur intellectuelle, avec l'ancien ministre de l'Intérieur et de l'Education nationale que fut Jean-Pierre Chevènement.
Bien à toi,
© Source : Débat CNews Zemmour - Chevènement (16/10/2020) — Interview de Christine Kelly Octobre 2020