poésies Florent Durel

« Le snobisme scolaire qui consiste, en poésie, à n'employer que certains mots déterminés, à la priver de certains autres, qu'ils soient techniques, médicaux, populaires ou argotiques, me fait penser au prestige du rince-doigts et du baisemain.» (Léo Ferré)

DEMAIN, DE BON MATIN

Demain, de bon matin, à l’heure du collège,
Je dormirai. Aucun bizut ne m’attendra.
Je dormirai, frileux, – insensible, la neige
Ne me poussera pas à sortir de mes draps.

Je resterai au lit, au chaud et bien à l’aise,
Je ne penserai pas à mes cancres bruyants.
Bien content, bien heureux, étendu sur l’alèse,
Ce long jour sans pain ne sera pas ennuyant !

Je ne corrigerai nulle copie qui tombe
De mon sac chaque soir, fatigué du labeur,
Et, le réveil vibrant vers onze heures, le monde
M’attendra sur le seuil pour un voyage ailleurs !

 I/2017

 

DE GUERRE LASSE

Comme elle l’entourait, lui qui était si pâle,
Lui qui était son frère – à ce que l’on pensait ; –
Son frère, un appelé, à peine encore mâle
Revenu d’une nuit éprouvante – et blessé.

Le jeune homme mourait d’une blessure ardente.
Son délire jetait à nos barbes des mots
Crus, des apparitions aux armes contondantes
Et qu’on voyait surgir, dans les gaz, sac au dos !

Soucieuse près de lui, elle pansait ses plaies :
Soins d’une sœur patiente, appliquée, cependant
Qu’on sentait de partout le sang, les chairs brûlées
Et que des morts riaient, pour rien, à pleines dents.

Mais elle, aux sombres cils, les yeux vers la campagne
Où dormirait au soir un régiment défait,
Comprimait le sang et réajustait le pagne
Du soldat enfiévré qui clamait : « Est-ce fait ? »

J’aimais déjà la femme assise auprès du frère :
Ange occupé depuis toujours à ces travaux
Où les hommes, retour d’une quelconque guerre,
Râlent mais sont soignés, semblables ou rivaux.

D’une main qui bénit peut-être et réconforte,
Son geste qu’on voyait simple et doux, voluptueux,
Etait aussi de ceux d’une fiancée forte,
– Exigeante amoureuse au maintien vertueux.

Et comme elle penchait la tête, nonchalante,
Une dernière fois vers le jeune blessé
Mortellement, ce fut le baiser d’une amante,
Lèvre à lèvre, donné dans l’air trouble et glacé.

 XI/2016

 

DES GENS MEILLEURS

Quand dans la vie tout m’ennuie,
Qu’au bout du jour c’est la nuit,
Pour toi quand tout est normal,
Au fond de moi j’ai très mal.
Un conseil, un petit coup de main
Aujourd’hui, demain.
Nous sommes tous frères, tu sais,
Je sais que tu peux m’aider.

Autour de nous, la misère,
Quand certains jouent à la guerre !
Ceux dont l’ancienne maison
Ressemble à une prison.
Je me demande pourquoi la guerre ?
A qui peut-elle plaire ?
Petits et grands ont des problèmes,
Toi et moi, faut qu’on les aime.

Le devoir nous tend les bras :
Aidons ceux qui sont en bas,
Ceux qui cherchent un travail
Et vivent vaille que vaille.
On nous dit que le travail est d’or,
Que c’est un trésor,
Mais ici où tout est possible,
L’essentiel est invisible.

Et quand parfois tu t’ennuies,
Ton silence fait du bruit,
Ton carnet est lourd de mots :
Tu y réponds mot à mot.
Tu as tellement d’heures de colle,
Marre de l’école !
Tu es un être en devenir,
Pour ton bien, ton avenir !

Quand nous serons grands demain,
Que ferons-nous de nos mains ?
Et que dire de nos yeux
Qu’ils aperçoivent ou non Dieu ?
Serons-nous un jour des gens meilleurs,
Des hommes d’ailleurs ?
Laissant la main de nos parents,
C’est une autre que l’on prend.

 II/2016
gens meilleurs chanson paroles

 

LA DANSE DES PLURIELS

C’est la danse des pluriels
Tels les oiseaux qui ont deux ailes
Toi et moi avons deux mains
Pour se faire quelques copains
A l’école c’est très malin
Pour apprendre les pluriels.

La plupart des mots sont réguliers
Avec un s on a deux pieds
Tiens, c’est pour toi, c’est mon cadeau
Si tu le veux, prends-en deux beaux !
Maman a ses bijoux, bébé a ses joujoux
Dans mes cheveux j’ai plein de poux.

Maintenant, mesdames, messieurs,
Ouvrez bien l’œil, ouvrez les yeux
Si vous n’avez plus de travail
Que vous rêvez de beaux chevaux
Le maître aura quelques travaux
Pour éviter qu’aucun ne bâille !

 II/2015

 

Ô LONGUE LONGUE ÉTANT MA PLAINTE

Ô longue longue étant ma plainte
Peux-tu au moins l’entendre Anna
En Moselle cette complainte
Résonne de ce que tu n’as

Pas dit mais accordé Qu’importe
Comme le cygne de l’an brun
J’avance Anna et je t’apporte
Ma prière et quelques embruns

Ô longue et douce étant ma plainte
Et le roi d’ici que sait-il
De ma passion et de ma feinte
A n’être ici que par exil

Je vais lentement mon silence
Dure longtemps comme ton chant
Je vais déjà ta nonchalance
En moi creuse un mal plus touchant

Que restera-t-il de ta flamme
Pour moi ô chère que j’attends
Alors que tes refrains enflamment
Les bateliers qui vont contents

Mais triste étant toute romance
Je ne veux plus songer en vain
Qu’ailleurs guère loin de la France
Je bus avec toi un bon vin

Un autre est en convalescence
Qui n’est pas plus fier ni méchant
Le roi que l’on dit en souffrance
Battra la campagne et les champs

Et en Moselle sa complainte
S’entendra au loin quelquefois
Et s’entendra comme ma plainte
Méconnue du cygne et du roi

 IV/2015

 

MENDIANT

Les rues, les boulevards modernes de la France
Hautainement balaient de leur ligne de chance
Une main qui se tend vers chacun des passants,
Agrippeuse et obscure, écorchée jusqu’au sang.
C’est l’éternel mendiant, va-nu-pieds de fortune
Qui erre jusqu’au soir en quête d’une thune
Et ne remerciera pas souvent l’étranger
Dont l’indifférence est son biscuit à manger.

Il voit passer sans joie à ses pieds son époque :
Le cri contemporain dont pourtant il se moque,
Les clientes pressées chargées par les taxis
Disparaissant d’un coup avec tous leurs soucis,
Ou bien des collégiens, braillards et intrépides,
Lui décochant parfois des insultes stupides.
Il n’en veut pas au Diable et n’invoque pas Dieu,
Guettant dans les regards chaque fois un adieu !

Dehors le mendiant sait que nul n’entend ses rimes
Qu’entre quelques hoquets ses visions enveniment ;
Le long siècle encombré de béton et de deuils
L’enferme obstinément comme dans un cercueil.
Il demeure couché sur son lit de souffrance
Et maudit les passions libérales de France.
Son grabat sous lui sent l’enfer des opprimés.
– Vous passez, il vous dit : « Monseigneur ! Moi, jamais ! »

 II/2015

 

L'AMOUR DU CHANT

Dieu veuille qu’on vous loue dans notre siècle impie,
Que vous soyez conteurs, poètes danubiens
Ou latins, variété humaine du génie
Qu’on se plaît à toujours lire et relire, – ou bien

Plus obscurs, de ceux-là, qui perdant patience,
Ruminent dans le creux de leurs songes bornés
Le vain matériau d’une illusoire science
Qui accouche de mots inutilement nés.

Quant à moi, comme ceux qui n’ont encor rien dit,
Méthodique, j’apprends comme ceux du Mardi.
– Nuit et jour, quand un vol de la Muse me hante,

Ridicule, amoureux, qui croyant prendre est pris,
Je hurle doucement une plainte qui chante
L’inlassable travail du vers et de l’esprit.

 22/12/11

 

ÊTRE ET AVOIR

Loin des vieux livres de grammaire,
Écoutez comment un beau soir,
Ma mère m'enseigna les mystères
Du verbe être et du verbe avoir.

Parmi mes meilleurs auxiliaires,
Il est deux verbes originaux.
Avoir et Être étaient deux frères
Que j'ai connus dès le berceau.

Bien qu'opposés de caractère,
On pouvait les croire jumeaux,
Tant leur histoire est singulière.
Mais ces deux frères étaient rivaux.

Ce qu'Avoir aurait voulu être
Être voulait toujours l'avoir.
À ne vouloir ni dieu ni maître,
Le verbe Être s'est fait avoir.

Son frère Avoir était en banque
Et faisait un grand numéro,
Alors qu'Être, toujours en manque.
Souffrait beaucoup dans son ego.

Pendant qu'Être apprenait à lire
Et faisait ses humanités,
De son côté sans rien lui dire
Avoir apprenait à compter.

Et il amassait des fortunes
En avoirs, en liquidités,
Pendant qu'Être, un peu dans la lune
S'était laissé déposséder.

Avoir était ostentatoire
Lorsqu'il se montrait généreux,
Être en revanche, et c'est notoire,
Est bien souvent présomptueux.

Avoir voyage en classe Affaires.
Il met tous ses titres à l'abri.
Alors qu'Être est plus débonnaire,
Il ne gardera rien pour lui.

Sa richesse est tout intérieure,
Ce sont les choses de l'esprit.
Le verbe Être est tout en pudeur,
Et sa noblesse est à ce prix.

Un jour à force de chimères
Pour parvenir à un accord,
Entre verbes ça peut se faire,
Ils conjuguèrent leurs efforts.

Et pour ne pas perdre la face
Au milieu des mots rassemblés,
Ils se sont répartis les tâches
Pour enfin se réconcilier.

Le verbe Avoir a besoin d'Être
Parce qu'être, c'est exister.
Le verbe Être a besoin d'avoirs
Pour enrichir ses bons côtés.

Et de palabres interminables
En arguties alambiquées,
Nos deux frères inséparables
Ont pu être et avoir été.

 UPE2A - Classe d'accueil, Niveau A2. - Source Internet, Janvier 2014.

 

LE PRINTEMPS, C’EST JOLI

Le printemps, c’est joli
Parce que le temps est joli,
Le printemps est confortable
Parce que le temps est agréable.
Notre quartier est bien joli
Quand le climat devient poli.
Tout à coup, les arbres verdissent,
Les fleurs obéissent et les fleurs grandissent.
– Parfois je regarde le soleil
Et je ne me sens plus pareil…

Mais l’hiver, je fane avec les fleurs,
Et je calme mon humeur
En regardant la neige tomber.
– Aujourd’hui, je passe mon temps à jouer
Faisant des boules de neige ;
Le froid me prend dans son manteau beige
Et le bonhomme que j’ai fait
Me regarde fixement de ses gros yeux.
Parfois, il gèle, alors il est presque impossible
De marcher sur la glace, sans tomber.

Et le printemps revient : il fait chaud.
Les paysages sont très beaux,
La petite pluie arrive et repart,
Les fleurs nous éclaboussent de toutes leurs couleurs,
Le soleil fait fondre mon bonhomme,
Les oiseaux et les arbres sont pleins de vie…
Et qu’est-ce qui est joli ?
– La Vie !

 UPE2A - Classe d'accueil, Niveau A1. - Mars 2013.